— en écho assumé à l’ouvrage de Fabrice Lhomme et Gérard Davet
C’est de l’abondance du cœur que la bouche parle.
— Évangile selon Matthieu, 12:34
Le 13 décembre 2025, le Président de la République, Félix Antoine Tshisekedi, s’est adressé à la jeunesse congolaise lors d’une rencontre organisée par le ministère de la Jeunesse avec un échantillon de jeunes de Kinshasa. L’exercice, en soi légitime, visait à créer un espace d’échange direct entre la plus haute autorité de l’État et une composante essentielle de la nation. Il a toutefois été marqué par des déclarations dont les implications dépassent largement le cadre circonstanciel de l’événement.
Parmi les propos tenus, deux affirmations ont suscité une attention particulière :
Les premiers à rendre Kinshasa sale, invivable, sont d’abord les Congolais.
Félix ANToine Tshilombo Tshisekedi, Président de la République Démocratique du CONGO, CHEf de l’état, 13 décembre 2025.
Lorsque je suis arrivé à la tête de ce pays, j’ai trouvé une armée, pardonnez-moi l’expression, de clochards.
Félix ANToine Tshilombo Tshisekedi, Président de la République Démocratique du CONGO, CHEf de l’état, 13 décembre 2025.
Ces déclarations, formulées publiquement par un Président en exercice, posent une question centrale : celle de la responsabilité de la parole au sommet de l’État.
La parole présidentielle et ses répercussions
Un discours présidentiel n’est jamais neutre. Il façonne la perception publique, influence le moral collectif et contribue à définir le rapport entre l’État et les citoyens. Lorsqu’un Chef de l’État stigmatise, même indirectement, sa propre population ou ses forces armées, le message reçu peut être interprété comme un désaveu, voire une mise à distance symbolique.
Dans le cas de Kinshasa, le constat de l’insalubrité urbaine est partagé. Mais exprimé de cette manière, il tend à déplacer la responsabilité du problème sans rappeler, avec la même force, le rôle structurant des politiques publiques, de la gouvernance urbaine et de l’exemplarité institutionnelle. Or, dans un pays marqué par une longue défiance envers l’autorité, ce type de discours peut renforcer le sentiment de culpabilisation plutôt que susciter l’adhésion et la mobilisation.
S’agissant des FARDC, l’impact est encore plus délicat. Le Président de la République est, selon la Constitution, le Commandant suprême des forces armées. La parole qu’il adresse à propos de l’armée a un effet direct sur le moral des troupes, sur la perception qu’en ont les citoyens, et sur l’image internationale du pays. Une critique, lorsqu’elle est nécessaire, gagne à être formulée dans un langage qui distingue clairement le diagnostic institutionnel de la dévalorisation humaine.
Regard de la communication politique
Les spécialistes de la communication politique s’accordent sur un point : la parole d’un leader ne sert pas uniquement à dire la vérité telle qu’il la perçoit, mais à produire un cadre de sens. Elle doit être à la fois lucide et structurante. La franchise, souvent invoquée comme vertu, devient problématique lorsqu’elle se substitue à la cohérence et à la maîtrise du message.
Dans de nombreux contextes internationaux, des dirigeants ayant eu recours à un langage abrupt ou stigmatisant — parfois au nom de la « sincérité » — ont vu leurs propos se retourner contre eux, nourrissant polémiques durables, fractures sociales ou perte de crédibilité institutionnelle. L’expérience montre que les mots les plus marquants ne sont pas toujours ceux que l’on souhaitait voir retenus.
Une cohérence discursive en question
Ces déclarations s’inscrivent dans une tendance plus large du discours présidentiel, marquée par des variations sensibles selon les contextes. Le Chef de l’État a, à plusieurs reprises, affirmé n’avoir jamais tenu de propos belliqueux ni adopté une posture conflictuelle. Pourtant, certaines prises de parole passées, toujours accessibles à la mémoire publique, donnent une impression différente.
En politique, la cohérence n’est pas un luxe ; elle est une condition de crédibilité. Lorsque le discours fluctue au gré des circonstances, la sincérité revendiquée perd de sa force explicative. La mémoire collective, contrairement à une idée répandue, est tenace : elle compare, met en perspective et juge sur la durée.
Aller au-delà du constat : des pistes constructives
Reconnaître les difficultés du pays est indispensable. Mais un Président dispose d’un levier supplémentaire : celui de la projection. Plutôt que de s’arrêter à des formules choc, la parole présidentielle pourrait gagner en efficacité en :
- articulant clairement les responsabilités partagées entre citoyens et institutions ;
- valorisant les efforts et les progrès, même partiels, pour renforcer le sentiment d’appartenance nationale ;
- distinguant la critique des systèmes de celle des individus ;
- adoptant un langage mobilisateur, orienté vers la réforme et la reconstruction.
La parole, lorsqu’elle est bien maîtrisée, devient un outil de discipline collective et de transformation. Mal employée, elle risque de fragiliser ce qu’elle prétend corriger.
Conclusion
La parole publique d’un Président de la République a une portée quasi sacrée, non par essence morale, mais par effet institutionnel. Elle dépasse l’homme pour se confondre avec la fonction. Certes, la présidence de Félix Antoine Tshisekedi se distingue par un style direct, en rupture avec celui de son prédécesseur. Cette singularité peut être perçue comme une marque d’authenticité.
Mais l’authenticité ne dispense ni de la prudence ni de la hauteur. Car, au-delà de la personne, c’est l’institution — Président de la République, Chef de l’État, Commandant suprême des FARDC — qui s’exprime. Et cette institution impose une exigence de mesure, de cohérence et de responsabilité.
D’où cette évidence, formulée sans passion mais avec gravité :
Alors, Non, un Président ne devrait pas dire ça…