En tant que citoyen engagé et ingénieur œuvrant pour la transformation numérique en République Démocratique du Congo, je me sens interpellé par les récentes annonces de la Banque Centrale concernant la configuration obligatoire des terminaux de paiement en Francs Congolais (CDF) à partir du 31 juillet 2024. Cette décision, bien qu’animée par des intentions louables de souveraineté monétaire, me semble précipitée et potentiellement dommageable pour notre économie et notre société.
Les enjeux de la décision
Depuis des décennies, notre pays fait face à une série de défis complexes : sécurité, marasme économique, instabilité politique et sociale. Au cœur de ces difficultés, la volatilité de notre monnaie nationale constitue un obstacle majeur. En conséquence, les citoyens préfèrent utiliser le dollar américain pour les transactions et l’épargne, érodant ainsi la confiance en notre propre monnaie.
L’effondrement du système bancaire à la fin des années 1990 a conduit à une dollarisation de facto de notre économie. L’État, en tolérant cette pratique et en s’appuyant sur un taux flottant, a indirectement admis l’incapacité à stabiliser le Franc Congolais. Nous avons tous subi les conséquences de cette perte de confiance : inflation galopante, érosion du pouvoir d’achat et instabilité économique.
Mes craintes
1. Une décision précipitée:
La mesure annoncée pour le 31 juillet 2024 est, à mon avis, précipitée. Elle ne tient pas suffisamment compte des effets réels et psychologiques sur la population. Une transition aussi brusque risque de provoquer une panique générale.
Prenons l’exemple du Zimbabwe. En 2009, après des années d’hyperinflation, le Zimbabwe a abandonné sa propre monnaie au profit du dollar américain et d’autres devises étrangères. Cependant, en 2016, le gouvernement a tenté de réintroduire une monnaie locale, le bond note, pour contrer la dollarisation. Cette initiative a été mal reçue par la population, entraînant une crise de confiance et une hyperinflation renouvelée. Le manque de préparation et de sensibilisation a exacerbé la situation économique déjà fragile du pays.
2. Mauvaise vulgarisation
L’annonce a été faite sans une campagne de vulgarisation adéquate, laissant la population dans le flou et alimentant une psychose. Une meilleure communication aurait pu apaiser les craintes et préparer le terrain pour cette transition.
En Argentine, où la dédollarisation a également été tentée, le gouvernement a échoué à communiquer efficacement avec la population. En 2002, après l’abandon du peso argentin au profit du dollar américain, le gouvernement a cherché à réintroduire le peso. La transition a été marquée par une communication insuffisante, créant confusion et méfiance parmi les citoyens. La confiance dans le peso n’a jamais été pleinement rétablie, menant à des troubles économiques prolongés.
3. Méfiance envers les solutions de paiement numériques
La confiance en les solutions de paiement numériques reste faible en RDC. Les incidents de fraudes et la mauvaise qualité des services contribuent à cette méfiance. Imposer cette mesure sans avoir renforcé cette confiance pourrait conduire à un rejet massif.
Regardons le cas du Nigeria, où la Banque Centrale a lancé en 2021 l’eNaira, une monnaie numérique pour renforcer l’inclusion financière et réduire la dépendance au dollar. Malgré une campagne de sensibilisation, de nombreux Nigérians restent méfiants envers les solutions numériques en raison des préoccupations concernant la sécurité et la confidentialité. La faible adoption de l’eNaira souligne l’importance de bâtir la confiance avant de déployer de nouvelles technologies financières.
4. Dynamisation des circuits informels de change
Une telle décision pourrait renforcer les circuits informels de change, entraînant une prolifération des taux parallèles et compliquant encore plus le contrôle de notre économie.
Le Venezuela, par exemple, a tenté de contrôler l’utilisation des devises étrangères en 2003 en imposant des restrictions sévères. Cela a conduit à la prolifération d’un marché noir du change, où les taux parallèles étaient significativement plus élevés que les taux officiels. Cette situation a contribué à l’instabilité économique et à la perte de contrôle du gouvernement sur les flux monétaires.
5. Frein à la transition des entreprises de l’informel vers le formel
Obliger les transactions en CDF pourrait dissuader les entreprises informelles de se formaliser, freinant ainsi leur développement et leur intégration dans l’économie formelle.
Au Kenya, le succès de M-Pesa, un service de transfert d’argent mobile lancé en 2007, montre l’importance d’intégrer des solutions adaptées pour encourager la formalisation des entreprises. En facilitant les transactions mobiles, M-Pesa a permis à de nombreuses petites entreprises de passer de l’informel au formel, contribuant ainsi à l’inclusion financière et à la croissance économique.
6. Obstacle à la Transformation Numérique:
Cette mesure pourrait également entraver la transformation numérique des organisations en général, car elle risque de décourager l’utilisation des technologies de paiement modernes.
En Inde, la démonétisation de 2016 a été une tentative de réduire l’économie souterraine en invalidant les billets de 500 et 1000 roupies. Bien que cela ait initialement stimulé l’adoption des paiements numériques, le manque de préparation et les infrastructures inadéquates ont conduit à une perturbation massive. La transformation numérique doit être soutenue par des infrastructures robustes et une éducation adéquate des utilisateurs pour être efficace.
Pistes de solutions
1. Une approche gradualiste
Adopter une transition progressive plutôt qu’une mesure brusque permettrait aux citoyens et aux entreprises de s’adapter. Un plan sur plusieurs années, accompagné de campagnes de sensibilisation, serait plus efficace.
2. Renforcement des infrastructures numériques
Avant d’imposer cette mesure, il est crucial de renforcer les infrastructures numériques. Cela inclut l’amélioration de la connectivité Internet et la sécurisation des transactions.
3. Promotion de la confiance
Des campagnes de sensibilisation et des régulations claires pour protéger les consommateurs peuvent aider à bâtir la confiance en les solutions de paiement numériques.
4. Encourager l’innovation
Encourager l’innovation dans le secteur des paiements numériques et favoriser la concurrence entre les fournisseurs de services peut améliorer la qualité des services offerts.
5. Apprendre des expériences étrangères:
S’inspirer des leçons apprises de pays comme l’Argentine et le Zimbabwe pour éviter les erreurs commises lors de tentatives similaires de dédollarisation.
Conclusion
La décision de la Banque Centrale d’imposer la configuration des terminaux de paiement en Francs Congolais est un pas audacieux, mais elle doit être abordée avec prudence et réflexion. En adoptant une approche graduelle et en renforçant les infrastructures numériques, nous pouvons transformer cette décision en une opportunité pour le développement économique et numérique de notre pays. Ensemble, nous pouvons travailler pour un avenir meilleur et plus prospère pour la République Démocratique du Congo.
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